«On essaie de privilégier des interactions de qualité»

Oldgames s’est spécialisé dans la remise au goût du jour et la sophistication de « vieux » jeux (tarot, bataille, etc.). Ici, sa dernière création, «Brutus!», qui voit s’affronter des maisons de gladiateurs. / DR
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Oldgames s’est spécialisé dans la remise au goût du jour et la sophistication de « vieux » jeux (tarot, bataille, etc.). Ici, sa dernière création, «Brutus!», qui voit s’affronter des maisons de gladiateurs.
DR

«On essaie de privilégier des interactions de qualité»

OUTIL
Faut-il intégrer les smartphones aux jeux de société? Editeurs et professionnels sont partagés, mais observent l’essor de créations où tout le monde trouve sa place, loin des écrans qui isolent.

Mission Détective est un jeu d’enquête comme il en existe beaucoup: dans la boîte, un paquet de documents à éplucher (articles de presse, plans, liste de pièces à conviction…). Mais au cours de la partie, ils ne suffisent plus: les joueurs doivent aussi se connecter en ligne pour visualiser des lieux en 3D. Pendant l’activité, il faut donc se munir d’un ordinateur, d’une tablette ou d’un smartphone. Bonne idée? «Il ne faut pas voir le smart-phone comme quelque chose qui va perturber les joueurs. Aujourd’hui, les gens sont habitués à utiliser leur téléphone, il y a donc un côté didactique à l’utiliser dans un jeu. Les éditeurs vont miser dessus pour permettre de l’appréhender plus facilement, par exemple», observe Maxime Damien, responsable vidéo chez Philibert, enseigne phare du jeu de société à Strasbourg. Il voit essentiellement le smartphone comme «un outil, au même titre qu’un dé ou un pion. C’est juste une ressource de plus, et parfois une solution assez judicieuse pour réduire le coût d’un jeu». Un téléphone peut servir pour lancer des dés ou le chronomètre, tenir le rôle de maître du jeu –au moyen d’une IA en ligne spécialisée–, voire proposer des versions actualisées du jeu.

L’émotion comme boussole

Chez Oldgames, studio de jeux de société basé à Romans-sur-Isère (Drôme), le smartphone n’a pas sa place. «Avec notre ligne éditoriale qui essaie de miser sur les interactions de qualité et des univers hypertravaillés, recourir au smartphone pour certaines fonctionnalités serait vu comme un manque de savoir-faire. Ce n’est juste pas possible», explique Matys Barthélémy, son fondateur. A Lausanne, Hadi Barkat, le créateur des jeux Helvetiq, n’a pas de position de principe en la matière. «Un petit nombre de nos jeux a intégré le smartphone – mais ils pouvaient toujours se jouer sans y avoir recours. Je crois qu’il ne faut rien exclure et tenir compte du monde dans lequel on vit. Et puis, par nature, nous sommes curieux, nous aimons imaginer, créer, innover…» Reste que l’ADN d’Helvetiq, «c’est l’émotion. Quand on imagine un jeu, on cherche à créer des moments où l’on s’amuse, échange et qui permettent une vraie expérience sociale», explique Hadi Barkat. Une qualité relationnelle qu’Helvetiq peaufine avec quantité de détails dans chaque jeu: «Il ne faut pas qu’un joueur puisse dominer toute la partie. On peut aussi valoriser les temps de prise de décision pour éviter que quelqu’un se sente mis sous pression. Ou miser sur la prise de décision démocratique. Et puis, il faut limiter la frustration. Notre jeu le plus vendu, Odin, primé au Festival international des jeux de Cannes (FIJ), est un exemple de cet équilibre qui limite les mauvaises frustrations que l’on peut ressentir par exemple dans le Uno, où des cartes négatives peuvent s’accumuler.» 

Faire des rencontres

Le but: arriver à des échanges dont personne ne se sente exclu. C’est aussi ce qui guide Matys Barthélémy, qui a travaillé son dernier jeu, Brutus!, pour «augmenter et améliorer les interactions» entre joueurs. «Les anciens jeux comptent souvent des mécaniques efficaces mais un peu répétitives qu’il fallait perfectionner. Nous avons aussi inclus de l’humour et du savoir pour apprendre au passage plein de faits historiques et culturels… De quoi permettre aux joueurs de se vanner mutuellement ou de partager des références communes.» Créer «des expériences et souvenirs communs», relier, est la mission du jeu de société à une époque de «fatigue numérique», observe Cynthia Reberac, directrice du FIJ, principal festival francophone de jeux de société, qui constate depuis plusieurs années l’essor de jeux «coopératifs, inclusifs». Et qui note que 10 % de son public, soit 10 000 visiteurs, y vient «seul et pour faire des rencontres».