La fable du chatqui se croyait maître en son cimetière
Ils se sont rencontrés en 2021 en marge d’un colloque universitaire en ligne: Daniel Burnier, sociologue qui travaillait alors sur la finance durable mais s’intéressait aux questions de fin de vie (qui seront plus tard son sujet de thèse), et Michelangelo Giampaoli, anthropologue italien basé à Chicago, dont l’un des terrains de recherche de prédilection est les cimetières.
«Je lui ai dit que je travaillais sur des livres pour enfants», se souvient Daniel Burnier (Au secours, mon papa est sociologue!, Alphil, 2022, et Plouf dans les nuages, Les Editions Visibles, 2024). La discussion s’est poursuivie: «J’étais certain que les cimetières n’étaient pas quelque chose que l’on associe aux enfants. Michelangelo m’a convaincu du contraire, medisant qu’ils n’étaient pas faits que pour les morts, qu’ils étaient surtout là pour les vivants.» C’est ainsi qu’est né le projet de rédiger une fable, avec des rimes et des animaux qui parlent, pour aborder le thème des cimetières pour un public d’enfants
Les premiers souvenirs de cimetière de Michelangelo Giampaoli remontent à l’enfance: «J’ai perdu mon père quand j’avais 8 ans. Je passais tous les samedis avec ma mère et mes frères dans le cimetière de Pérouse. Comme enfants, même si l’on était dans un cimetière et en face de la tombe de notre père, il y avait toujours cette énergie qui nous habitait.Donc après cinq minutes de recueillement,on allait explorer le cimetière avecmes frères. J’ai alors compris que dans ce lieu, il n’y avait pas seulement de la douleur et de la tristesse.» Quelques années plus tard, il défendra une thèse sur le cimetière parisien du Père-Lachaise.
Grande précision
Biodiversité, place dans une société où l’inhumation a de moins en moins la cote, lieu de culture, etc., les notes accompagnant le projet de texte passionnent l’illustratrice Amélie Buri quand on lui propose de participer. «Je me suis dit que je n’avais jamais réfléchi aux cimetières sous tous ces angles-là. De là est né mon enthousiasme pour ce projet», explique-t-elle. «Dans mes différents livres, j’aime l’idée qu’un album pour enfants permette d’ouvrir la discussion. J’aime me dire que c’est un support pour les adultes qui facilite l’échange, le débat.» Amélie Buri reste donc très attachée à certains commentaires des notes de travail qui ne trouvent pas place dans l’illustration ou le récit. «Nous nous sommes interrogés sur la place qu’on allait leur donner.» Ce sera des renvois de presque toutes les pages vers la fin de l’ouvrage, où des notes, richement illustrées, permettent de poursuivre la réflexion et l’apprentissage.
Travailler avec des spécialistes a également permis à Amélie Buri d’enrichir son illustration. «Il y a une recherche de réalité dans l’architecture et les sculptures– beaucoup des tombes et des monuments que l’on voit, même à l’arrière plan,sont inspirés d’oeuvres réelles. Labelle statue d’un ange qui souffle sur un papillon fait partie d’un monument funéraire de São Paulo. Pour le columbarium, elle s’est inspirée de celui du cimetière de Saint-Etienne», dévoile MichelangeloGiampaoli. Le dessin, qui regorge d’éléments et de symboles, a été réalisé à l’encre Ecoline et aux crayons de couleur– «une technique que j’ai découverte pour ce projet», glisse Amélie Buri
Repenser le lien à la mort
Et si cette fable donne envie de visiter les cimetières pour profiter de leurs richesses culturelles et naturelles, le pari est gagné. Michelangelo Giampaoli a d’ailleurs déjà converti Amélie Buri et Daniel Burnier. Ce dernier relate: «Ily a quand même une certaine pression sociale quand on croise quelqu’un dans un cimetière. Quand ça m’arrive, je me sens obligé de faire comme si je cherchais une tombe. Difficile de dire que l’on s’y trouve simplement parce que l’on s’y sent bien.»Et même si Le Chat et la Musaraigne ne parle pas vraiment de la mort, MichelangeloGiampaoli souhaite aussi que ce thème puisse être abordé par ses jeunes lecteurs. «Il faut penser aux cimetières, aux livres pour l’enfance, à la relation entre mort, cimetière et enfance, d’une manière constructive et éducative, juste ment parce que l’on est de moins en moins préparé à cette réalité.»
Côté pratique
Le Chat et la Musaraigne. Intrigues animalières dans un fabuleux cimetière, Daniel Burnier et MichelangeloGiampaoli, illustrations d’Amélie Buri.
Editions Ouverture et OPEC.