
Les Druzes de Syrie plus isolés que jamais
L’autoroute qui relie Damas à Soueïda, le bastion druze dans le sud de la Syrie, est quasi déserte. Après une centaine de kilomètres de désert, le bus ralentit, zigzague entre deux tas de gravats, puis s’arrête. Au check-point, des hommes en civil, kalachnikov en bandoulière, contrôlent les identités des passagers. Soueïda est en état de siège depuis la vague de violences qui s’est abattue fin avril sur la minorité druze. Issus d’une branche de l’islam chiite, les Druzes sont en effet considérés avec méfiance par une partie de la communauté sunnite dont sont issues les nouvelles autorités.
La diffusion sur les réseaux sociaux d’un message insultant le prophète Mahomet a été le déclencheur de cette attaque. Malgré le démenti du ministère de l’Intérieur, des islamistes radicaux ont attribué ce message blasphématoire à un cheikh de la communauté. Dans les jours qui ont suivi, les principales villes druzes ont été attaquées. Selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme, 134 personnes – dont 88 combattants druzes et 14 civils – ont été tuées. Ces exactions, souvent enracinées dans de vieilles vengeances datant de la guerre civile, ont profondément traumatisé la minorité.
«Nous, les Druzes de Syrie, traversons aujourd’hui une crise existentielle», affirme Rami, jeune diplômé en ingénierie, qui a rejoint ses voisins à un checkpoint de son quartier. «Si nous n’étions pas organisés et armés, nous aurions subi les mêmes massacres que sur la côte.» Une référence aux tueries qui ont visé les Alaouites dans les régions de Lattaquié et de Homs en mars dernier. Faire le parallèle avec ces massacres est courant au sein de la minorité druze, qui représente 3% de la population syrienne. Le réflexe de repli est également similaire: les Alaouites quittent Damas pour s’installer à Lattaquié ou partir au Liban ; les Druzes, eux, abandonnent les localités autour de la capitale pour se réfugier à Soueïda.
«Nous devons nous défendre»
«A Damas, ils nous voient comme des kouffars (infidèles, NDLR). Ce n’est pas possible de discuter avec eux. Nous devons nous défendre», affirme Bahaa, un autre jeune ayant pris les armes.
Parmi ces jeunes, la quasi-totalité des étudiants druzes ont quitté les bancs de leurs universités, situées dans tout le pays. Mais trois semaines ont passé. Les examens approchent. Certains souhaitent y retourner pour valider leur année. «La semaine dernière, des hommes de factions armées ont interdit aux étudiants de monter dans les bus censés les y ramener», rapporte encore Rami.
Cet incident illustre l’une des nombreuses divisions qui gangrènent la société druze. Son leader spirituel, le cheikh Hikmat al-Hijiri, défend une ligne dure face à Damas. «Notre véritable ennemi n’est pas Israël, mais Damas, assène-t-il. Le nouveau pouvoir est identique à l’ancien régime, mais en plus extrémiste.» Une position soutenue par le Conseil militaire de Soueïda, l’une des factions les plus puissantes de la communauté.
Mais une partie des Druzes rejette fermement ces propos. «Israël nous instrumentalise pour affaiblir l’unité de la Syrie, et le cheikh Hijiri travaille pour eux», estime Maya, une étudiante dont le père est druze et la mère sunnite – une union exceptionnelle, la religion druze interdisant strictement les mariages mixtes. Dans cette religion hermétique, seuls les «religieux» ont le droit de «lire le Livre» et donc d’être «initiés».
Selon l’activiste politique Leith, «les prises de position du cheikh Hijiri sont irresponsables, compte tenu du poids politique du religieux au sein de la communauté ». Il est encore larvé, mais « un conflit ouvert entre factions armées druzes serait catastrophique pour une communauté qui a d’ores et déjà perdu toute légitimité sur la scène politique à Damas», conclut-il.