Quand les démarches administrativesdeviennent une torture

©iStock
i
©iStock

Quand les démarches administrativesdeviennent une torture

Prise de conscience
Le manque de compétences pour être administrativement indépendant et le blocagepsychologique face aux démarches sont deux réalités qui inquiètent les assistantssociaux.

Ne pas comprendrele langage administratif, ne pas saisir le sens d’une démarche sont un véritablehandicap dans notre société. Dans le jargon des assistantes sociales et assistants sociaux,on appelle cela «la précarité administrative». «On nous demande beaucoup de choses en tant que citoyens et contribuables», développe Corinne Feusier, assistante sociale au Centre socialprotestant (CSP) – Vaud. «C’est à nous de gérer notre fiscalité. Dans le domaine de la santé, il faut faire suivre des factures, être à jour avec ses primes.» Une méconnaissance du système, et les usagers et usagères peuvent se retrouver perdus, avec des conséquences parfois très coûteuses. Ne serait-ce que du fait de ne pas connaître l’existence de certaines aides.«Dans les années 2000, on a commencé à parler d’ ‹ alphabétisme financier› et du problème de l’illettrisme financier», résume-t-elle. Cela s’est amplifié avec la numérisation de nombre de prestations administratives. Les difficultés liées à l’usage des nouveaux outils informatiques– l’illectronisme, mot-valise formé d’‹ illettrisme › et d’‹ électronique ›– ne font que grossir les rangs des précaires administratifs. «La société attend de nous un certain nombre de savoirs. Si on ne les a pas, par quel biais les acquérir?», s’interroge Corinne Feusier.«Les administrations commencent à en prendre conscience. Cette année, par exemple, l’office d’impôt vaudois a mis en place une formation. Ces ‹ sessions découvertes › pour remplir sa déclaration d’impôt en ligne ont été prises d’assaut et rapidement complètes.»

Un vrai blocage
Une autre réalité inquiète les spécialistes de l’aide. «Face à une charge administrative de plus en plus conséquente et au temps qui n’est pas extensible, certaines personnes lâchent prise», explique Corinne Feusier. «Des usagers se mettent à ne plus relever leur courrier ou de manière très irrégulière. Ces personnes n’ouvrent pas les enveloppes, tétanisées à l’idée d’être confrontées à des nouvellesqu’elles ne savent pas gérer. J’ai par exemple accompagné une personne qui faisait véritablement un blocage. Elle gardait tout son courrier dans un sac sous son lit, loin de son regard. Et c’est un cercle vicieux, parce qu’alors on passe à côté de poursuites ou de lettres importantes», prévient Corinne Feusier.
«Parmi les gens qui viennent chercherde l’aide au CSP, on trouve beaucoup de personnes sous le coup de taxations d’office, incapables de remplir leur déclaration d’impôt alors qu’elles en ont lescompétences. C’est ça qui est incroyable.
Elles ont les compétences et les connaissances pour le faire, mais sont bloquées dans leur pouvoir d’agir.»La précarité administrative peut conduire à la phobie administrative,«dans le sens que moins on comprend de choses, plus on a la phobie d’ouvrir son courrier, parce que l’on sait que l’on ne va pas comprendre ce qui nous est demandé», résume Corinne Feusier. Cette réalité touche des personnes de tous les milieux socio-économiques. «Il faut vraiment appréhender cela comme une problématique de santé. Des personnes très compétentes dans leur domaine professionnel, qui parfois ont fait de hautes études, sont tétanisées quand il s’agit de traiter leur administratif personnel.» Expérience vécue comme violente à l’ouverture d’un courrier, écho d’épreuves vécues durant l’enfance, événement douloureux tel qu’une séparation… difficile de dire quel est le déclencheur. «Parmi les gens que je conseille, il m’arrive d’inviter celles et ceux qui sont suivis par un psychologue à aborder cette question avec leur thérapeute. Pour d’autres personnes, le fait de les accompagner dans ces démarches leur permet de ‹ reprendre pied», résume-t-elle.
Ce phénomène n’est pas nouveau. «On a tous en tête une personne qui arrive avec des sacs remplis de courriers pas ouverts», note Corinne Feusier. Mais une prise de conscience est en cours. Reste un conseil: rapidement demander de l’aide quand les courriers commencent à s’accumuler.