La théologie de la libération, mère des théologies contextuelles?

L’évêque Helder Camara, figure brésilienne de la théologie de la libération, a lutté contre la pauvreté dans son diocèse du Nordeste. / ©DR
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L’évêque Helder Camara, figure brésilienne de la théologie de la libération, a lutté contre la pauvreté dans son diocèse du Nordeste.
©DR

La théologie de la libération, mère des théologies contextuelles?

Progressisme
En popularisant l’idée de partir de la réalité et du vécu des croyants, le mouvement latino-américain a ouvert une voie pour penser d’autres émancipations.

La théologie de la libération a-t-elle accouché des autres théologies contextuelles? Les spécialistes semblent s’accorder sur un point: ce mouvement chrétien de gauche n’est pas seul à l’origine des réflexions queer, décoloniales ou encore raciales, mais il y a grandement contribué. Son contenu et le contexte dans lequel il a émergé ont servi de catalyseur à un renouveau théologique qui dépasse les frontières du catholicisme.

Le Dieu biblique «libère»

De quoi parle-t-on en évoquant la «théologie de la libération»? L’expression elle-même est issue du titre d’un ouvrage écrit en 1971 par le prêtre péruvien Gustavo Gutierrez, qui en a jeté les bases. Il s’agit d’un courant de pensée largement implanté en Amérique latine au temps des dictatures militaires. Constatant une inégalité immense dans la répartition des richesses et s’appuyant sur des mouvements sociaux qui ont émergé dès les années 1950, des évêques et des prêtres relisent le christianisme à la lumière de leur contexte et grâce aux outils de la gauche marxiste. Parmi eux, Ernesto Cardenal, prêtre guatémaltèque, Oscar Romero, évêque salvadorien, ou encore Helder Camara, évêque brésilien. 

«La théologie de la libération naît ainsi à la fois d’une pratique sociale, d’un contexte historique particulier et d’une ébullition intellectuelle», note le sociologue Luis Martinez Andrade, de l’Ecole des hautes études en sciences sociales de Puebla. «Leur thèse forte est la suivante: le problème que rencontre le christianisme dans le monde contemporain n’est pas tant celui de l’athéisme, contrairement à ce que prétend la théologie occidentale, mais celui de l’idolâtrie. L’opposition entre croyants et non-croyants est un faux clivage, le clivage pertinent est celui qui existe entre oppresseurs et opprimés.» Les nouvelles idoles que sont l’Etat, l’armée, le capitalisme réclament leur tribut en vies humaines ; or le Dieu biblique libère et ne demande pas de sacrifice.

Une filiation indirecte

Du côté catholique, la théologie de la libération popularise une autre manière de penser Dieu et le christianisme, qui servira de fondement à d’autres théologies contextuelles (noires, décoloniales, et bien sûr queer). «Celles-ci suivent un mouvement inductif, contrairement aux théologies classiques ou orthodoxes, descendantes, qui procèdent par déduction à partir des définitions théoriques. On part du vécu des croyants, de l’humain pour arriver à Dieu, expliquait la théologienne française Suzanne Bécart lors d’une conférence devant le groupe catholique féministe Le Comité de la jupe, à Lausanne. Cette manière de procéder est un héritage des années 1960 et de Vatican II, où l’on mettait en avant une théologie engagée, subjective, au lieu de penser à partir d’une objectivité qui paraissait parfois irréaliste.» 

Il serait néanmoins trop simple d’affirmer que les théologies queer sont directement issues de la théologie de la libération. «On lui a reproché d’être une production d’hommes blancs des classes moyennes, urbaines, qui ont fait des études en Europe et qui, en se concentrant sur le pauvre, oubliaient les questions liées à la race et au genre», précise Luis Martinez Andrade. La théologienne argentine méthodiste Marcella Althaus-Reid sera l’une des premières à affronter cette question en développant la «théologie queer de la libération»,