En premier lieu, l’encyclique offre une légitimité aux engagés de la première heure et suscite parfois leur retour dans l’Eglise. «Beaucoup attendaient une parole forte sur l’écologie; Laudato si’ leur donne envie de revenir», témoigne Anne Doutriaux, responsable du Mouvement Laudato si’ France. «L’approche théologique du texte aide à réduire la confusion entre écologie et politique, responsable de clivages partisans», souligne Corinne Bitaud, chargée de mission Ecologie et Justice climatique pour l’Eglise protestante unie de France (EPUdF), «et à comprendre pourquoi la sauvegarde de la création fait partie intégrante de notre foi.»

En invitant à une «communion universelle» avec toutes les créatures, l’écologie intégrale du pape François opère des réconciliations inespérées: entre l’engagement spirituel et celui pour le monde; entre les dimensions environnementale et sociale; entre la contemplation et l’action, entre l’humain et la nature. Le texte dénonce également avec fermeté les inégalités engendrées par notre système néo-libéral et technocratique… Nouveau, prometteur et dérangeant pour certains chrétiens, qui ont traité le pape de «gauchiste». Enfin, en s’adressant à tous les habitants de la «maison commune», Laudato si’ trouve audience chez les écologistes séculiers, sensibles à sa profondeur et à sa pertinence.

L’impact de l’encyclique reste cependant difficilement quantifiable. Du côté catholique, une démarche des évêques lancée en 2019 à Lourdes permet la présence de «référents à l’écologie intégrale» dans la plupart des diocèses. En 2023, une étude de l’Alliance Laudato si’ européenne montre que l’encyclique a eu un impact sur 95% des organisations catholiques d’Europe. Dans le même temps, un autre sondage (A Rocha-Ifop 2023) constate que 56% des «catholiques pratiquants» n’en ont pas entendu parler! Un paradoxe qui s’explique par le fait qu’une véritable conversion prend du temps et que beaucoup de paroissiens sont désireux d’agir sans forcément savoir comment. Les ressources qu’apportent le Mouvement Laudato si’, le label Eglise verte ou certains ouvrages didactiques ont progressivement comblé le vide. 

Du côté protestant, Laudato si’ est également reçue avec enthousiasme par les plus motivés, plus lentement par la base. «Des réseaux tels que Bible et Création travaillaient depuis longtemps à l’émergence de l’écothéologie. Laudato si’ a donné un coup d’accélérateur», reconnaît Corinne Bitaud. De nombreuses paroisses de l’EPUdF se sont engouffrées dans la proposition d’Eglise verte; 20% d’entre elles sont même aujourd’hui labélisées. 

Les graines semées continuent de germer, mais la tentation d’avancer à petits pas «pour ne froisser personne» se ressent encore, alors que le pape rappelait que «les justes milieux retardent seulement un peu l’effondrement». «L’écologie réduite à une somme de gestes verts risque de lasser et de nous faire passer à côté de la profondeur spirituelle de Laudato si’», conclut Anne Doutriaux. «J’ai le sentiment que nous ne sommes pas encore allés complètement au fond de ce que nous avions à vivre avec l’encyclique.»